30.07.2011
En cuisine avec Alain Passard - Christophe Blain
Si j'aime cuisiner, flâner sur les marchés et dans les boutiques gourmandes, manger aussi, je ne connais pas forcément très bien l'univers des grands chefs. Quelques noms bien sûr, parmi les plus médiatiques, d'autres chinés au gré des blogs et des revues culinaires que je suis de temps en temps avec plaisir. C'est ainsi que le nom d'Alain Passard me disait quelque chose... Plus vaguement que celui de Christophe Blain certes. Je pourrais dire que j'ai honte, mais en fait, j'ai été ravie de (re)découvrir ce grand chef par les yeux de ce grand auteur de bande-dessinée et je n'ai maintenant qu'une envie, c'est aller faire un jour un détour par L'arpège, et goûter une des petites merveilles élaborées dans ses potagers et ses cuisines.
Christophe Blain raconte dans son oeuvre comment un jour, son éditeur lui propose de faire un livre avec un grand chef, et comment il atterrit à L'Arpège, voit quelques coeurs et étoiles en dégustant le "petit légume", "la petite mousse", rencontre Alain Passard et s'embarque dans une aventure qui va durer quelques années et au cours de laquelle il va assister en témoin privilégié à la vie de ce chef et de son équipe. Résultat? Une oeuvre superbe, émaillée de recettes qui mettent l'eau à la bouche, un témoignage passionnant sur la grande cuisine et sur ce chef habité par son art. Bref, un petit bijou souvent drôle qui plonge le lecteur dans les coulisses d'un restaurant étoilé, dont l'absence de cases, le dessin éclaté sur les pages donne à sentir l'énergie d'Alain Passard, sa passion pour son art, son investissement dans son métier, la manière dont il fédère autour de lui. C'est peu de dire que j'ai dévoré le tout! Et que je ne regarderai plus jamais une betterave de la même manière!
Une interview de Christophe Blain.
Le site d'Alain Passard et L'Arpège.
Merci au Pingouin et à E. qui se reconnaîtront!
Blain, Christophe, En cuisine avec Alain Passard, Gallimard, 2011, 4.5/5
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23.07.2011
Les trois vierges - Yslaire, Boccar
Trois femmes de trente ans, conçues pour ce voyage, partent à la recherche du vaisseau Jupiter 4 parti quelques années auparavant. 50 ans de voyage, le huis-clos, inévitable, devient catastrophique lorsque la mission accumule les problèmes.
Je suis passée à côté de cette bande-dessinée en deux tomes comme je suis rarement passée à côté d'une bande-dessinée. Que dire... Que le format est intéressant? Indéniablement. Que le dessin est très beau? Aucun doute pour moi. Mais pour le scénario... La situation de départ est intéressante, sans rien de très original, certes, mais j'ai trouvé que de l'absence de vieillissement des trois héroïnes, à la manière dont petit à petit la machine se détraque, en passant par les rancoeurs qui explosent, la folie qui s'installe, rien de tout cela n'est exploité jusqu'au bout et les personnages n'ont pas eu à mes yeux suffisamment de substance pour que je prenne un intérêt réel à leur destin. Mais comme je n'ai jamais réussi à rentrer dans les univers développés par Sylaire, ce n'est sans doute pas très étonnant.
Une grosse déception donc, mais reste la technique, et la beauté de certaines cases, le vaisseau et l'espace.
Sylaire, Boccar, Trois vierges, t.1 Dyane, t.2 Atena, Glénat
Et encore une contribution au challenge Summer Star Wars!
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04.06.2011
Polina - Bastien Vivès
"Il faut être souple si vous voulez espérer un jour devenir danseuse. Si vous n'êtes pas souple à six ans, vous le serez encore moins à seize ans. La souplesse et la grâce ne s'apprennent pas. C'est un don. Suivante..."
Et pourtant Polina va intégrer la prestigieuse école Bojinski et vivre avec intensité sa passion pour la danse.
Evidemment, dit comme cela, on se demande s'il ne va pas s'agir d'une ressucée version BD d'un roman d'Anne-Marie Pol. Mais dois-je l'avouer puisque nous ne sommes pas mardi, j'ai adoré les romans d'Anne-Marie Pol fut un temps. Surtout Le sang des étoiles tiens, que j'ai lu, relu, rerelu, rererelu avec enthousiasme. Même si je n'aimais pas danser.
Mais revenons à nos moutons. Enfin, à Polina. Autant attaquer tout de suite, cette BD est un petit bijou, tant en terme de scénario que de dessin. Car Bastien Viviès retrace avec sensibilité et crédibilité le parcours d'une enfant puis d'une jeune femme dont la vie tourne autour de la danse, qui s'y perd, s'y retrouve, la fuit, y revient. On la suit dans sa relation à son maître, dans sa découverte progressive qu'il est possible de danser autrement, dans sa vie d'une certaine manière en dehors de la vie au sein d'écoles et de troupes. Avec en filigrane une réflexion sur l'exigence, la discipline que requiert la danse, discipline indispensable qu'il faut néanmoins dépasser pour que la technique devienne art. Le tout est servi par un dessin au trait épais, tout de noir et de gris qui parvient pourtant à se faire léger, à traduire le mouvement, la souffrance, les émtions de Polina et de ceux qui l'entourent.
Une très belle réussite!
Une interview de Bastien Vivès...
Polina est la BD RTL du mois de mars!
Vivès, Bastien, Polina, KSTR, 2011, 206p. 4/5
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28.05.2011
Les larmes de l'assassin - Thierry Murat
Pablo vit avec ses parents en un endroit où personne n'arrive par hasard. Là, à l'extrême sud du Chili, ils ne voient guère que quelques scientifiques, parfois un poète. Jusqu'au jour où frappe à leur porte Angel, l'assassin en fuite. Et l'assassin assassine, épargnant, sans trop savoir pourquoi l'enfant.
Les larmes de l'assassin a été mon premier roman d'Anne-Laure Bondoux, une baffe, un de ces textes qui vous prennent au tripes et vous laissent épuisés au bout du chemin, mais littéralement transporté. Dur, violent, profondément humain. C'est vous dire si en voyant arriver cette adaptation en bande-dessinée de ce bijou, j'étais mi-enthousiaste, mi-méfiante.
Or, c'est un magnifique album qu'offre Thierry Murat, à la fois fidèle à l'oeuvre d'Anne-Laure Bondoux, à son atmosphère, et empreint de sa patte grâce à un trait charbonneux, des jeux d'ombres, des noirs, ocres, bleus profonds, gris, marrons qui font sourdre la solitude des grands espaces de la Patagonie, la violence, l'amour improbable qui naît entre l'enfant et l'assassin, la tension provoquée par l'arivée du poète.
Impossible de chercher la petite bête, l'infidélité au roman tant son dessin et son choix de texte s'avère parfait, équilibré, poétique et rend justice à cette histoire de mort, d'amour et de trahison.
Une très belle réussite donc, élue BD RTL du mois de février, et un coup de coeur pour moi.
Fashion, Noukette en parlent.
Pour ceux qui voudraient lire le roman, il est disponible chez Bayard.
Murat, Thierry, Les larmes de l'assassin, librement adapté du roman d'Anne-Laure Bondoux, Futuropolis, 2011, 125p., 5/5
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10.08.2010
L'hôte - Jacques Ferrandez d'après une oeuvre d'Albert Camus


Ferrandez, Jacques, L'hôte, Gallimard, coll. Fétiche, 2009, 4/5
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09.04.2010
Freaks of Heartland
Une vallée isolée, quelques fermes, un secret soigneusement préservé par les familles depuis des années : des enfants monstrueux sont nés, soigneusement cachés et tenus à l’écart. Jusqu’à ce que la peur et l’incompréhension deviennent trop fortes et que la violence se déchaîne. Trévor, dont le frère Will est un de ces enfants décide de le sauver quand son père prend la décision de l’abattre.
Habituellement, j’ai un peu de mal avec les dessins de comic books : même avec des scénarios qui m’enthousiasment, il me faut faire un petit effort. Et puis il y a les exceptions, où dessin et scénario s’allient pour satisfaire mes exigences de lectrice de comics du dimanche. Freaks of heartland est de ces exceptions. Le dessin est purement et simplement somptueux : dans des teintes ocres et sépia, les détails se dessinent en douceur jusqu’aux explosions de violence qui brouillent tout repère et traduisent à merveille la souffrance de Will, de Trévor et des autres. Par moment, ce sont des toiles et non pas des cases qu’on a sous les yeux. En guise de décors, le lecteur découvre l’Amérique profonde, ses villages perdus et faussement tranquilles, le monde rural dans la splendeur de ses champs et l’horreur de ses secrets. La grande force du dessinateur est d’instiller par petites touches le fantastique. En fait, alors qu’on sait, qu’on sent qu’il y a quelque chose d’anormal, seuls des détails et des sous-entendus permettent de se faire une idée de ce qui a pu se passer : mutations due à un nuage étrange, grossesses simultanées, on pense bien sûr à toute la littérature fantastique et aux comics dans ce genre, ou encore aux histoires de complots, d’extraterrestres, d’expériences scientifiques qui ont mal tourné. Sans ces allusions, on pourrait presque penser à un drame de la consanguinité, le genre de chose qui a pu arriver dans des villages isolés et fermés au monde comme celui où vit Trevor.
Steve Niles, le scénariste met en scène la relation, touchante, de deux frères, et la capacité, aussi, des enfants à accepter l’autre dans ses différences sans peur. Bien sûr le choix a été fait de montrer deux enfants normaux accepter ceux qui ne le sont pas, en opposition aux parents qui rejettent une différence qui les terrifie. Les enfants peuvent être aussi cruels que les adultes, et surtout, aussi cruels que leurs parents. Mais dans le cas de Trevor et de Will, et de Maggie qui va les accompagner et les aider, c’est la confiance, l’acceptation, l’ouverture d’esprit qui est mise en valeur et la richesse qu’elle apporte. Rien d’original en fait puisque la plupart des histoires de freaks touchent à ces thématiques (Cristal qui songe, Elephant Man, Lilliputia…) , mais une manière de raconter, de dessiner, qui font de Freaks of heartland une très belle œuvre.

C’est une belle histoire, qui se clôt malheureusement de manière un peu abrupte : j’aurais bien continué l’aventure avec Trevor, Will, Maggie et les autres….
Greg Ruth, Steve Niles, Freaks of hearland, Semic, 2007, 170p., 4/5
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22.03.2010
Le combat ordinaire - Manu Larcenet
Marco a quitté la ville pour la campagne, il a arrêté le psy parce qu’il a l’impression que ça va vraiment mieux, il a arrêté de partir photographier les guerres et les catastrophes et il s’occupe à croiser de temps à autre son frère rigolard, ses parents qui vivent au bord de la mer. Marco est monsieur tout-le-monde, mais il est tellement, tellement plus…
Il y a des œuvres comme ça qui croisent votre route l’air de rien et qui vous bouleversent au-delà de toute mesure. Ce n’est pas qu’elles soient particulièrement drôles, non, ni particulièrement tristes d’ailleurs, c’est juste qu’elles touchent quelque chose d’intime, et en même temps d’universel. Dans Le combat ordinaire, il y a une histoire particulière, celle de Marco, et il y a tout ce qu’elle dit sur la vie, l’amour, l’amitié, la famille. Manu Larcenet réussit le tour de force de raconter une histoire banale en lui donnant une force peu commune et en dressant une galerie de personnages terriblement humains et qui en disent long sur sa capacité à observer les gens et à en faire des personnages plus vrai que natures. Du coup on s’attache à eux, malgré l’agacement qu’ils provoquent parfois, voire la colère.
Marco et sa trouille de l’engagement, son incapacité totale à passer à l’âge adulte, Emilie et sa patience, la maman qui se révèle un jour, les secrets du père, les ouvriers de l’arsenal, les journalistes et les artistes, on retrouve les petits travers, les grandes qualités, les petites histoires de la vie quotidienne.
C’est tout simple et débordant d’émotion et de réflexions sur l’angoisse, sur les liens familiaux et les secrets de famille, sur l’amour et le changement radical qu’implique accepter un autre dans sa vie. De petits événements en grands changements, Manu Larcenet s’emploie à montrer de quelle manière on change et on grandit, qu’on le veuille ou non, et quels conflits et bonheurs cela provoque. Le combat ordinaire est celui que tout un chacun connaît à un moment ou à un autre de sa vie, ou toute sa vie et c’est la force immense de cet album qui met le lecteur face à ses propres questionnements, face à sa propre tendance à fuir les problèmes et les choix, face aux réactions que l’on peut avoir quand la maladie, la mort, le racisme, le chômage font soudain leur apparition. Avoir la chance de lire les quatre tomes d’affilé, c’est pouvoir percevoir mieux l’évolution de Marco, de son entourage, de la société aussi. J’ai apprécié ce moment passé avec les personnages.
Les aventures de Marco sont servies à merveille par le dessin, tout en détails, en finesse, qui transcrit à la perfection les émotions et les ambiances. C’est un beau tableau, humain, sensible, touchant de la vie aujourd’hui, un petit chef d’œuvre qui démontre la force que peut avoir la bande-dessinée.

Larcenet, Manu, Le combat ordinaire, Dargaud, t.1 à 4, 5/5
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31.01.2010
Je mourrai pas gibier - Guillaume Guéraud
Mortagne n’est pas bien grand, mais ce n’est pas pour autant que l’harmonie y règne. Entre ceux du bois et ceux de la vigne, les coups et les coups bas pleuvent tous les jours sauf celui où tout le monde fête la chasse. Car à Mortagne, on naît chasseur, et en tant que tel, on ne mourra pas gibier. Martial, lui, s’est échappé. Au bois qui était son destin, il a préféré la mécanique dans un internat et fuit ainsi son père qui meurt des poussières de bois respirées toutes sa vie, la violence de sonfrère et une vie toute tracée. Sauf que quand on sort des cadres, c’est un coup à se lier d’amitié avec Terence, celui qui a la tronche de travers, l’idiot du village. La victime désignée de tous les dérapages. Jusqu’à l’irréparable.
S’il y a un auteur pour la jeunesse qui a provoqué le débat, voire le scandale, c’est bien Guillaume Guéraud. Il faut dire que ce n’est par lui que passeront les jolis petits lapins roses des happy end. Guéraud, c’est du lourd, du poisseux, du violent. C’est la vie et ses atrocités, L’angoisse sans aucune tentative de l’atténuer. Le désespoir parfois. Se lancer dans Je mourrai pas gibier, c’est accepter de se prendre une claque, d’avancer avec l’estomac noué et d’en sortir le souffle coupé et vaguement nauséeux. Guillaume Guéraud pratique une écriture sèche qui va à l’essentiel et excelle à entrer dans la psyché de ses personnages. Martial, on le connaît de « l’intérieur », on découvre Mortagne par ses yeux. Sa lassitude, son désespoir, puis sa colère, le lecteur les vit avec lui. On s’approprie presque les mots de cet adolescent qui a laissé éclater sa haine et sa colère.
Personne n’est condamné au nom de quelque morale que ce soit dans ce roman. Il y a juste l’enchaînement dramatique qui mène à l’irréparable, les traditions d’un village où la violence est quotidienne, où l’ignorance fait des ravages, où ce qui est différent est rejeté aux marges et utilisé en bouc émissaire. Un village où un jeune adolescent sans problème devient un de ces tueurs fous. Sans jamais rien excuser, l’auteur décrypte les événements, les non-dits qui conduisent à vouloir se faire justice soi-même et au meurtre. Il décrit superbement la souffrance de se sentir différent, de décider de s’éloigner et de changer de vie. Il sait montrer par petite touche l’importance du milieu social, de l’éducation dans une vie.
Alors, oui, Je mourrai pas gibier est un roman violent. Mais c’est surtout un de ces romans qui font grandir parce qu’ils ouvrent les yeux.
Le roman a été adapté au format roman graphique par Alfred qui offre là un magnifique album. Extrêmement fidèle au récit de Guéraud, il joue sur le champ, le contre-champ, les décalages de temps et d’espace, rendant d’autant plus violentes, les quelques scènes qu’il a choisi de représenter. On y retrouve magnifiquement mis en image l’atmosphère lourde et noire du roman, les paysages autour du village. Le trait, brutal, est totalement en accord avec le récit et la colère de Martial. Mention spéciale à la couverture et à la quatrième de couverture qui résument en deux dessins et l’ambiance du récit, et l’histoire de Martial. C’est magistral, parfois même plus violent que le roman puisque mis en image. Plus violent, mais pas plus terrible tant imaginer peut parfois être pire que voir. Mais Alfred n’a pas hésité à dessiner les aspects les plus crus et durs de cette histoire, en des cases qui donnent envie de fermer les yeux.
L’un comme l’autre magistral et essentiel.
Guéraud, Guillaume, Je mourrai pas gibier, DoAdo Noir, Rouergue, 2006, 5/5
Alfred, Je mourrai pas gibier, Delcourt, 2009
10:58 Publié dans Bulles, Littérature pour "Adolescents" | Lien permanent | Commentaires (12) | Envoyer cette note | Tags : guillaume guéraud, alfred
09.01.2010
La vague - Todd Strasser et Stefani Kampmann
Fin des années 60 dans un lycée américain. Ron Jones, enseignant d'histoire est incapable de répondre aux questions de ses élèves sur ce qui a pu mener la population allemande à ne pas se révolter contre le pouvoir nazi. Il met donc en place une expérience de discipline stricte qui va le mener bien plus loin que ce qu'il pouvait imaginer. La Vague, mouvement créé presque comme un jeu de rôle acquière une vie propre et va ébranler le lycée.
J'avoue ne pas avoir vu le film adapté du roman de Todd Strasser, mais lorsque j'ai vu passer le roman graphique adapté du roman que je n'avais pas plus lu, je me suis dit que ce serait un très bon moyen de découvrir cette histoire vraie et pour le moins édifiante. Ce fut une bonne pioche. Le récit de cette expérience hors du commun laisse sans voix. Qui ne s'est pas demandé en étudiant la Seconde guerre mondiale ce qui pouvait expliquer l'aveuglement des alliés comme des populations européennes à l'extermination des juifs et aux camps de concentrations, qui ne s'est pas demandé ce qui avait bien pu transformer des gens ordinaires en bourreaux? Bien sûr, pour ceux qui ont approfondi la question, il y a quelques pistes de réflexion, quelques débuts de réponse: crise sociale et économique, peur de la répression, antisémitisme latent, réaction face à des transformations perçues comme vecteurs de décadence, fascination du pouvoir... Mais ce qu'a fait Ron Jones a été plus loin. Sans réelle préméditation, il a mis en place les conditions d'une expérience grandeur nature d'installation d'un régime fasciste. C'est fascinant de voir de quelle manière les adolescents dont il a la charge sont fascinés par la discipline qu'il propose alors même qu'ils étaient plutôt évaporés auparavant. C'est fascinant de voir de quelle manière le mouvement se propage jusqu'à induire des modes de comportement et de pensée fascistes. C'est fascinant et profondément effrayant. Soudainement, des adolescents viscéralement individualistes entrent dans un mouvement totalitaire. Tout y est: la perte d'indépendance de l'individu, la fin de toute pensée indépendante face à la pression du groupe, les attitudes agressives face à tout ce qui est extérieur et face à tous ceux qui mettent en danger le groupe, perte de tout esprit critique... Les ressorts de cette rupture sont exposés sans fioriture et sans tentative d'explication. Il n'y en a sans doute pas. Le plus intéressant reste sans doute que ce n'est pas seulement la manière dont les adolescents basculent qui est présentée, mais aussi la fascination que le pouvoir qu'il vient d'acquiérir exerce sur un professeur que rien ne portait à devenir un dictateur.
Dépassé par les événements, par ses propres réactions face à cette expérience, l'enseignant y met un terme de telle manière que la leçon a du s'imprimer de manière durable dans les souvenirs de ses élèves.
Le roman graphique est servi à la fois par ce scénario passionnant et par un trait qui très rond et dynamique qui donne corps au récit et en rend les personnages attachants et presque réels. J'ai apprécié cette lecture. Le roman par contre, pêche par un style très, très faible, entre le style journalistique et un roman jeunesse un peu simplet. Dommage.
Reste que l'un et l'autre sont à découvrir, même s'ils ne brillent pas par la finesse de leur analyse. C'est un peu rapide, le tout reste en surface, mais c'est une manière de découvrir originale et percutante d'aborder le thème du fascisme et celui du nazisme et de décortiquer les ressorts de ces systèmes politiques. La réponse par l'exemple à la traditionnelle question de savoir si l'histoire est appelée à se répéter.
Sylvie l'a lu!
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18.12.2009
Le ciel au-dessus du Louvres - Yslaire, Carrière
Le Louvres a la très bonne habitude de donner carte blanche de temps à autre à un talentueux dessinateur de BD. J’avais adoré l’histoire un peu folle racontée par Nicolas de Crécy, j’ai donc sauté sur l’occasion de découvrir le travail d’Yslaire et de Jean-Claude Carrière sur un de mes musées préférés.
1793. La Révolution Française bat son plein, la Terreur s’annonce, le musée du Louvres ouvre ses portes. Dans deux des salles de l’immense château, David peint la Révolution. C’est à lui que Robespierre demande de représenter le concept d’Être Suprême qu’il vient d’inventer et qui sera célébré. Alors que le peintre chercher désespérément un modèle pour cet être suprême, Jules Stern, un jeune homme venant de Khazarie le trouble au point finir par l’obséder.
Bernard Yslaire et Jean-Claude Carrière ont choisi de s’intéresser à une période passionnante de l’histoire du musée du Louvres : le moment de sa naissance, au cœur des troubles et des violences de la Révolutions française. En quelques pages, ils croquent l’atmosphère ensanglantée des rues de Paris, la fièvre populaire, l’espoir immense qui porte la population et les dissensions qui commencent à déchirer les rangs des révolutionnaires et vont amener à la Terreur. Vingt chapitres successifs brossent par petite touche le portrait de la Révolution dans ses interrogations et ses excès. C’est passionnant de voir cela mis en image.
La période est vue avec beaucoup de pertinence, sans aucune pesanteur : on voit se dérouler la tragédie par le petit bout de la lorgnette, en partageant l’intimité de David et de ses proches dont Robespierre. Elle s’entremêle avec l’obsession grandissant de David pour un modèle, un très jeune homme mystérieux, Jules Stern, obsession qui va le mener au pire. Cet aspect de l’histoire est romantique, très romantique, tout en exaltation, en grandes envolées, en sentiments exacerbés. Et c’est ce qui, finalement, m’a déplu. Ce n’est aucunement un reproche quand à la qualité du scénario et du dessin, juste mes goûts qui ne m’ont jamais portés vers le romantisme et, je crois, ne m’y porteront jamais. J’ai trouvé David l’exalté crispant, l’attitude des personnages parfois un peu outrée, les grandes envolées un brin pénibles.
Reste la qualité du dessin, magnifique, plein de détails, oscillant entre croquis et dessin achevé, avec pour seul regret un sentiment de « plat » en ce qui concerne les couleurs. Il y a des planches fascinantes, comme celle qui présente l’ouverture du musée du Louvres, qui montre l’accrochage des toiles, le fourmillement du public…On peut même jouer à reconnaître les toiles !
Et puis la réflexion sous-jacente, fondamentale, sur les rapports de l’art et du pouvoir. Après avoir été le peintre d’une élite, David devient le peintre de la Révolution : pour lui, la peinture doit être porteuse des valeurs de la République. Jusqu’à ce que Révolution et Terreur révèlent leurs failles et qu’il lui faille trouver un nouvel idéal pour assouvir son besoin d’absolu, un nouvel idéal qui se révélera aussi friable que l’ancien. Le suivre faisant face aux aléas de l'histoire est passionnant.
Au final ? Une belle balade dans les couloirs du Louvres et les méandres de la Révolution Française. A ne pas manquer !
Merci à Véronique pour cette belle découverte!
Yslaire, Bernard, Carrière, Jean-Claude, Le ciel au-dessus du Louvres, Futuropolis, Musée du Louvres, 2009, 3.5/5
20:13 Publié dans Bulles | Lien permanent | Commentaires (15) | Envoyer cette note | Tags : le louvres est un des mes musées préférés. j'en ai visité toutes, je ne m'en souviens pas de la moitié!