15.03.2011

La cuisine des flibustiers - Melani Le Bris

La-cuisine-des-flibustiers-Mélani-Le-Bris-198x300.jpgComme le dit si bien Michel Le Bris dans sa passionnante introduction au non moins passionnant La cuisine des flibustiers, on s'imagine plus souvent ces féroces marins mâchonnant tristement une nourriture farçie de charançon ou ivres de tafia que faisant bombance. Or, c'est pourtant par eux que naît la cuisine caraïbe, celle, d'une infinie richesse des îles du Pacifique et de l'océan Indien.

Pour le prouver par A+B, Mélani Le Bris invite ses lecteurs à un voyage  haut en couleur dans l'univers de la flibuste. Il y a bien sûr des recettes, certaines alléchantes, d'autres qui laissent plus dubitatif ou frustré de ne pouvoir se procurer des ingrédients devenus rares, voire de ne pas avoir d'endroit où se construire un boucan. Mais ce qui fait la grande force de ce recueil, c'est d'y mêler des extraits de récits de grands voyageurs, comme le père Labat, jamais en retard d'une expérience gustative, de raconter des anecdotes, de présenter quelques flibustier pour faire en même temps l'histoire de cette cuisine qui naît au confluent des us et coutumes culinaires des populations locales, des esclaves, des colons et du voyage parfois étonnant des ingrédients qui en font tout le sel. Le tout saupoudré d'un peu d'histoire de la flibuste et de la colonisation des îles. C'est captivant, souvent drôle, bourré d'informations qui donnent envie de se plonger dans les mémoires du père Labat et de partir à l'aventure avec Oexmelin, Dampier, Morgan, Thomas Gage et les autres. Autant dire qu'on en sort l'eau à la bouche et les ustensiles de cuisine qui démangent!

Bref, un fort sympathique recueil de recettes qui va garder une place de choix sur mon étagère de livres de cuisine et qui va me donner un prétexte pour aller explorer l'univers merveilleux des ignames, manioc, fruits à pain, épices et autres dons de la nature!

Ce que je ne me suis pas privée de faire en me jetant sur deux patates douces qui coulaient jusqu'alors des jours sereins pour réaliser les sweet potatoes pones de Catherine Sullivan, auteur du remarquable (il ne peut que l'être) The Jamaïca Cookery Book publié en 1893.

Que vous faut-il:

- une patate douce (celle à chair orangée est plus sucrée que sa consoeur à chair blanche), ou plusieurs petites, le but est d'obtenir environ 500g de purée;

- une cuillière à soupe de purée d'igname (dont je me suis passée n'ayant pas d'igname à portée de main);

- un oeuf;

- le lait d'une demi noix de coco (j'ai mis environ 25cl de lait de coco en boîte);

- une pincée de poivre noir de Jamaïque (poivre noir normal en attendant de rouvrir mes cartons);

- une pincé de muscade;

- une pincée de cannelle (qui n'est pas dans la recette originale, mais j'aime trop la cannelle pour m'en passer);

- un oeuf;

- deux cuillières à soupe de sucre roux.

Faire cuire la patate dans de l'eau bouillante, peler et réduire en purée.

 

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Ajouter l'oeuf battu, le lait de coco, poivre, muscade et cannelle, purée d'igname. Faire fondre les deux cuillières à soupe de sucre dans une petite tasse d'eau, ajouter à la préparation.

 

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Répartir dans des moules à muffin, faire cuire environ 40 minutes à 180°C. Vérifier la cuisson avec la pointe d'un couteau.

Résultat?

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Les gâteaux ont un peu une texture de flan mais ont un arôme très sympa! A priori j'ai mis un peu trop de lait de coco  et je réessairai en séparant jaune et blanc de l'oeuf, en montant le blanc en neige pour l'intégrer à la pâte. J'ajouterai peut-être aussi un tout petit peu de farine ou de fécule.

Sinon j'ai trouvé là, une autre recette que je vais essayer.

L'avis d'Amanda

15.01.2011

Audeat, audeatarum et autres histoires

Il était une fois... En fait, il faudrait jeter un voile pudique sur les événements qui ont conduit à ce billet. Un voile limite opaque même. Mais osons malgré tout.

Il était une fois donc, quelques copines réunies autour d'un (ou plusieurs) cocktail (tout dépend de la version, police ou syndicats). Et qui viennent de découvrir par un coup du sort, le coquin, l'existence d'une croquingnolette collection fort pertinement nommée "Osez..." au catalogue... Bref, au catalogue... Enfin... Au catalogue nécessitant une exploration scientifique en règle. Poussées par notre esprit d'aventure, nous partîmes donc à six et arrivâmes à à peu près le même nombre, fermement décidées à vous faire partager les fruits de notre expérience littéraire, non sans l'avoir auparavant bruyamment commentée.

Que dire, que dire... Tout d'abord que comme souvent femme varie selon le populaire adage, le ton varie. De l'agréable au drôle, de l'agaçant au franchement crispant. On pourrait en dire de même de ces messieurs. Sur la variabilité. La variance. La... Bref, nous nous sommes compris.

Mais qu'ai-je donc osé tester vous demandez-vous.

008476-169x240.jpgTout d'abord ce charmant titre, dédicacé par la piquante, drôle et charmante auteur elle-même dont vous trouverez le blog par ici. A noter d'ailleurs que non contente de parler de la Chose et d'écrire sur Elle, elle sévit de surcroît avec talent dans l'Imaginaire. Mais revenons à nos moutons. Sans être une spécialiste de ce type de quête, il me semble que l'ensemble est sérieusement documenté, l'auteur ayant testé les sites et leurs fonctionnalités, pertinent dans les informations fournies et les recommandations données. Et en plus franchement marrant par moment. Si donc vous voulez faire plus ample connaissance avec la jungle et le monde impitoyable des rencontres virtuelles, ce Osez là est pour vous! Qui sait, peut-être Eric vous attend-il au détour d'un profil...

 

 

Forte de cette première expérience réussie, je me suis ensuite penchée sur les fondamentaux avec...

007907-169x240.jpgJe suppose que les messieurs ne se retrouveront guère dans ce titre, mais que voulez-vous, la nature est ainsi faite qu'il faut parfois faire des concessions et se livrer à une analyse partiale et partielle des choses. Dont acte. Quelques pages d'histoire, de la technique avec illustration, il n'y a rien de révolutionnaire sous la couette (ou la douche), mais de la dédramatisation à la louche pour une pratique encore diabolisée par certains et une jolie manière de permettre à celles qui ne connaissent pas leur corps pour X raisons de l'apprivoiser. Le tout avec humour, ce qui ne gache rien.

Reste à franchir le pas de l'achat... Mais notre ami A. est là pour ça. A moins que vous ne préfériez F. et la grande aventure qui consiste à se confronter à une caissière avec ce titre en main et à se balader sans le cacher dans les rayons.

Heureuse propriétaire de ces deux titres, je me suis ensuite livrée à quelques échanges, histoire d'explorer un peu plus la collection. J'ai ainsi poursuivi mon exploration avec...

007879-169x240.jpgde la même plume. J'ai eu là une légère déception. Certes l'auteur s'attaque aux clichés tenaces et aux discours qui stigmatisent toujours et malheureusement celles qui osent être des "mangeuses d'homme", mais j'avoue que le mode d'emploi pour rejoindre ce club m'a fatiguée d'avance et que le ton, certes drôle par moment m'a parfois un peu gênée aux entournures. N'aimant guère être considérée comme un gibier, je ne vois pas pourquoi je rendrai la pareille à ces messieurs. Mais il n'y a là rien que de très personnel.

 

 

 

Je n'ai pas eu le temps, à mon grand dam de terminer l'instructive (sic) lecture de ...

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 et n'en parlerai donc pas, mais je vous renvoie aux autre membres de l'expédition pour faire plus ample connaissance avec cette maison d'édition au nom évocateur.

A moins que vous n'osiez participer à ce petit jeu concours avec, à la clé pour les 3 aventuriers ayant correctement répondu aux questions suivantes et tirés au sort, un exemplaire d'Osez!

1- A quel épisode biblique la pratique décrite par le 2e titre présenté dans ce billet doit-elle un de ses synonymes? Attention, vous avez intérêt à citer vos sources et de préférence avec livre, chapitre et verset. Une bonne occasion de réviser!

2- Quel site, étudié dans le premier titre se veut être un supermarché à l'usage de ces dames?

3- Certaines croqueuses aiment la chair fraîche. Quel nom romatique leur donne-t-on?

 

A vos marques! Les réponses sont attendues à l'adresse mail indiquée dans les colonnes de ce blog pour le 20 janvier dernier délai! Résultats le 22 janvier par tirage au sort parmi les bonnes réponses. Tirage au sort bien évidemment effectué par une main innocente! Vous pouvez multiplier vos chances en jouant chez mes compères!

Merci au passage aux éditions de La Musardine qui ont bien voulu doter ce petit jeu concours!

Vous pouvez jouer chez Fashion, Stéphanie, Stephie, Tamara également! 

 

14.08.2010

Les nombreux mondes de Jane Austen - Isabelle Ballester

isabelle-ballester-nombreux-mondes-jane-auste-L-1.jpegVu mon addiction inquiétante pour l'univers de Jane Austen, il m'a été difficile de patienter jusuqu'à mettre la main sur Les nombreux monde de Jane Austen dont la très belle couverture me faisait de l'oeil. Autant vous dire que j'ai été insupportable, guettant assidûment l'arrivée de cet ouvrage ô combien désiré à la bibliothèque.
Et alors me direz-vous? Et alors c'est une déception, certes relative, mais une déception. Rien à dire ou presque sur la forme: illustrations abondantes, encarts explicatifs, bibliographie, c'est un ouvrage agréable à parcourir. Mais ce qui 'm'avait enthousiasmé dans Les nombreux mondes de Harry Potter m'a beaucoup gênée dans Les nombreux mondes de Jane Austen. Je m'explique: les oeuvres de Jane Austen sont présentées comme si leurs protagonistes avaient existés et avaient fait partie, de près ou de loin de la vie de Jane Austen. Du coup, se mêlent à la biographie de l'auteur des éléments des romans d'une manière qui ne m'a pas vraiment parue intéressante. Entre des épisodes de la vie de Jane Austen, le lecteur a droit à des résumés circonstanciés des romans et de leurs intrigues, ce qui, pour un lecteur assidu de Jane Austen, ne présente absolument aucun intérêt et risque de gâcher le plaisir de la découverte à celui qui n'a pas encore lu tout ou partie de son oeuvre. Sans compter qu'il devient difficile à qui n'a pas lu une biographie de l'auteur de démêler le romanesque du fait. Ce n'est de fait pas très grave puisque l'ouvrage ne se veut pas une biographie de Jane Austen mais une présentation de sa vie et une biographie croisée de ses principaux personnages mais cela a induit au cours de ma lecture un sentiment de malaise et d'agaçement dont je n'ai pas pu me défaire et qui s'est agravé à l'aune du manque de références et de sources concernant les photographies et illustrations abondantes dans le texte. J'ai lâché prise à la moitié de la chronologie qui constitue la deuxième partie de l'ouvrage. J'avais aimé dans Les nombreux monde d'Harry Potter ce parti pris d'aborder les personnages de fiction comme des personnages ayant réellement existé. Mais alors que dans cet ouvrage il était clair que la fiction était à l'honneur, dans Les nombreux mondes de Jane Austen, la frontière se brouille.
Point positif, ceci étant dit, on a droit à des notes concernant la Régence qui apportent sur l'oeuvre de Jane Austen un éclairage intéressant et qui situent dans leur contexte les petites choses du quotidien qui abondent dans les romans. Dommage qu'il n'y en ait pas plus. Et on a droit en prime à un passage en revue de la postérité de Jane Austen qui donne une furieuse envie de passer une commande immédiate.
Reste le texte de John Kessel, écrit en hommage à Orgueil et Préjugé et qui clos d'agréable manière ce docu-fiction. Orgueil et Prométhée a le mérite de mettre en avant la pauvre Mary Benning et de lui faire rencontrer un Frankenstein plutôt torturé.
Je connaissais sans doute trop l'auteur et son oeuvre pour apprécier pleinement l'ouvrage comme j'avais pu apprécier Les nombreux monde d'Harry Potter et dépasser mes réticences.
L'avis d'Emjy.

Ballester, Isabelle, Les nombreux mondes de Jane Austen, Les moutons électriques, 2009, 340p. 2/5

15.05.2007

Oups, mon nez

J'ai achevé (non, pas de mort violente) dans la journée un sympathique petit ouvrage qui regroupe trois courts essais d'Alberto Manguel. "Comment Pinocchio apprit à lire", "La bibliothèque de Robinson" et "Vers une définition du lecteur idéal".

Conclusion, j'aime ce qu'écrit M. Manguel. C'est toujours érudit, intelligent et agréable à lire. Je ne suis pas forcément d'accord avec toutes ses thèses, mais son point de vue sur la lecture, l'avenir de la lecture et du livre dans une société amoureuse du virtuel est passionnant. Tout autant que ce qu'il dit des conséquences de ce mouvement. Car pour lui, le livre est le garant de notre capacité à penser le passé, et à nous construire, tout ce que ne permet pas le web dont on fait aujourd'hui si grand cas. Celui-ci, s'il est un outil utile, ne peut le remplacer. Et à le croire, l'homme court à sa perte. Car la lecture, parce qu'elle permet la pensée, est aussi une condition de la iberté de l'homme.

"La technologie n'est pas responsable de nos malheurs; c'est nous qui le sommes et qui sommes les seuls à blâmer lorsque nous choisissons l'oubli au détriment de la mémoire [...]. Les inscriptions de notre passé commun sont en train de s'effacer non pas à cause de la nouvelle technologie mais parce que nous n'avons plus le désir de les lire."

Je ne suis pas tout à fait d'accord par exemple avec son rejet d'Internet. Mais le plaisir de le lire est le plus fort.

J'espère ne pas avoir trop déformé la pensée de monsieur! Il termine en tout cas par une savoureuse énumération de ce qu'est le lecteur idéal. Rien que pour cette liste, cette lecture vaut le détour.

Petit florilège:

"Paolo et Francesca n'étaient pas des lecteurs idéaux puisqu'ils avouent à Dante qu'après leur premier baiser ils ont cessé de lire. Des lecteurs idéaux se seraient embrassés et puis seraient retournés à leur lecture. Un amour n'exclut pas l'autre."

"Tout livre, bon ou mauvais, a son lecteur idéal"

"Le lecteur idéal est capable de tomber amoureux d'un des personnages du livre" (*mais non je ne rougis pas*)

"Le lecteur idéal fait du prosélytisme" (*mais arrétez de me regarder"!)

A la fin on ne se sent pas dans la peau du lecteur idéal, mais le sourire persiste. Et comme dans le cas de la lettre libertine sur la lecture, on ne cesserait pas de recopier des passages! Ruineux en bics ce M. Manguel!

Pour d'autres informations, allez donc faire un tour du côté de chez Flo et chez liberlibri.

Pinoochio et Robinson. Pour une éthique de la lecture, Alberto Manguel, L'escampette, Essai, 2005, 76 p.

06.04.2007

Au bonheur de lire

Je viens de terminer deux petits essais d'Hubert Nyssen. C'est encore la faute à Cuné!

Le premier, Eloge de la lecture est le texte d'une conférence, completé par un vibrant éloge à Albert Cohen qui m'a donné envie de me replonger dans l'oeuvre cet auteur. Il ne m'a guère laissé de traces autres que quelques belles phrases dont on retrouve les échos dans Lira bien qui lira le dernier. Lettre libertine sur la lecture. Là par contre, quel bonheur!

Moi qui ne connaissait Hubert Nyssen que par son nom et son métier d'éditeur ai découvert sa plume pleine de verve et joyeusement érudites. Un beau festival de mots que je ne connaissais pas ou plus: cabouter, avers, bistourner, gargoulette, et autres a chanté dans ma tête! Et cette série de lettres à une lectrice imaginaire a flatté mon petit ego de lectrice, il faut l'avouer. Faut-il qu'il aime les femmes monsieur Nyssen pour en parler ains!

Ceci dit, le plumage se rapporte au ramage. Le contenu est fort intéressant. Tout est passé à la moulinette: le livre, la lecture, la crise du livre, le rôle de l'écrivain, le libre-échange, etc. On dit le livre en crise, mais depuis que le livre est livre, il est en crise. Et crise du livre n'est pas crise de la lecture tant l'un et l'autre en étant parents ne sont pas siamois. S'il y a crise, c'est celle du support,et d'un monde dans lequel tout est bradé et noyé dans le flot du consumérisme et du progrès. S'il est inquiet, Hubert Nyssen, c'est surtout de la désacralisation de l'acte d'écrire et du rôle de l'écriture. Mais l'espoir est là malgré tout, parce qu'il reste des lecteurs, et surtout des lectrices.

Mais ce qu'il y a de meilleur en cet ouvrage, c'est le sens de la formule, ce bonheur incomparable que l'on sent qu'il a à écrire et à lire, et son hymne au bonheur de lire, son regret que ce bonheur ne soit pas mieux partagé. Ce qui donne ces merveilleuses petites, ou grandes phrases qui ont ausis le mérite de me faire réflechir au sens de mon métier. Qu'est-ce que lire, qu'est-ce que faire lire et faire passer le bonheur de lire, comment faire passer ce plaisir? C'est un beau rôle que d'être, ou plutôt d'essayer d'être le passeur aux autres du plaisir, certes, mais aussi des moyens de l'indépendance. C'est ce que j'en retire, malgré le pessimisme de certains des propos.

Petit florilège:

"Et puis, je vous l'avoue, aux heures d'égoïsme, je me fiche de savoir si dans cinquante ans il sera encore question d'un livre qui vient de m'apporter illuminations et jouissance. C'est l'affaire de mes petits-neveux. La mienne est de ne pas négliger la félicité de l'instant, de ne pas mépriser la compagnie qui m'est offerte et de ne pas gâcher le plaisir qu'elle me donne."

"Les livres auxquels nous sommes tellement attachés, mademoiselle Esperluette, ne sont pas des livres pour tous. On aurait beau les offrir, ils n'auraient pas plus de lecteurs qu'ils n'en ont déjà. Car il ne suffit pas de savoir lire pour pouvoir lire. Afin de parer la bastonnade, j'aurais dû revétir heaume et armure pour dire cela, mais je persiste à prétendre et à le répéter. Si l'on n'y a pas été préparé par l'éducation, qu'elle fut particulière ou sociale, on ne peut trouver dans la lecture que décéption et, pire, graines d'hostilité. Donner à lire à qui ne sait pas lire revient à le détourner pour longtemps des livres, sinon à jamais."

 

14.02.2007

Eloge de la lecture: comme mêler travail et plaisir

   
Je viens juste de terminer dans le cadre de mon travail la lecture d'un   merveilleux petit essai: Eloge de la lecture. La construction de soi de Michèle Petit. Pour la bibliothécaire en devenir que je suis, la réflexion est intéressante même si aucun des éléments qui sont utilisés ou apportés n'est fondamentalement nouveau.
Michèle Petit s'emploie au cours des 159 pages de son ouvrage montrer, démontrer et expliquer le rôle des livres, des textes dans la construction d'une identité et dans l'émancipation de l'individu. Elle montre pourquoi cette lecture, qui est éloignement du groupe dès lors que la lecture silencieuse naît mais aussi ouverture au monde et à la critique était, et est encore considérée comme dangereuse.
 
Mais le plus intéressant à mon sens est son regard sur le discours tenu par les intellectuels, médias, éducateurs sur la lecture: "Les jeunes ne lisent plus", "Il faut lire".
Ce discours que l'on entend depuis quelques années, les débats sur la lecture à l'école (ou faut-il ne faire lire que des classiques à nos chérubins, introduire ou ne pas introduire la littérature jeunesse) me hérisse le poil à titre personnel. Déjà parce qu'il ne correspond pas à une réalité complexe que les études menées sur le sujet par des gens comme Christian Baudelot dévoilent. Ensuite parce que je pense très sincèrement, que s'il faut donner aux enfants les clés qui permettent d'analyser les textes, et leur faire toucher les monuments de notre littérature, il n'en reste pas moins que la manière d'enseigner la lecture et le livre reste profondément utilitariste.  Et ne laisse que peu la place au simple plaisir de rencontrer un texte, d'y trouver les échos qui nous permettent de grandir et de mieux vivre. "Lisez pour réussir mes enfants!", "Lisez des histoires qui vous instruisent et répondent à vos questions!" (histoire que nous n'ayons pas à y répondre?). Je trouve ça triste. Parce que sans plaisir, sans rencontre avec un auteur ou un texte, la lecture ne peut pas de toute manière aider le lecteur.
Bien sûr qu'il ne faut pas priver la jeunesse et les autres de la "grande littérature", bien sûr que la construction d'un "vivre ensemble" passe par la constitution d'une culture commune. Mais l'accès à cette culture ne serait-elle pas plus facile si le plaisir, le désir était au rendez-vous dans la lecture? Et si l'injonction de lire n'agissait pas comme un repoussoir pour une partie des jeunes générations? Comme l'écrit Michèle Petit, « Il y a probablement une contradiction irrémédiable entre la dimension clandestine, rebelle, éminemment intime de la lecture pour soi, et les exercices faits en classe, dans un espace transparent, sous le regard des autres. »
Ou encore, du maître René Diatkine : « Rien ne fait plus perdre le goût de la lecture que le questionnement, intrusion indélicate dans un espace où tout est particulièrement fragile. »
 
La critique est virulente, mais constructive par le fait qu'elle s'inscrit dans une réflexion à la fois littéraire, psychanalytique, historique et sociologique. L'œuvre touche parce qu'elle provoque chez celui qui la lit une réflexion sur son propre chemin de lecteur, et des échos avec des moments, des pratiques de lecture, des plaisirs. Et reste de toute manière, le rare bonheur qu'il y a à lire les témoignages d'écrivains grands et petits, de lecteurs sur leurs lectures et leurs relations au livre.
Je ne résiste pas au plaisir de livrer un de mes passages préférés: "C'est une curieuse transmutation celle par laquelle des oeuvres qui sont souvent le fruit des mouvements les plus intimes des écrivains, des artistes, des philosophes, qui disent leurs passions, leurs détresses ou leurs joies, sont agrégées les unes aux autres et converties en une sorte de monument officiel et pompeux [...] Quand ils déconstruisent le monument et dérobent quelques lignes, une métaphore, les lecteurs ne font que reprendre leur dû, pour réaliser leur propre assemblage, leur propre bricolage; pour retrouver aussi, dans le plaisir du dialogue, le geste d'un peintre, la voix d'un poète, le chant d'un fleuve, l'étonnement d'un savant ou d'un voyageur, et s't abriter."
Un bel hymne à la liberté du lecteur et à la richesse intérieure qu'amène la lecture.
Michèle Petit. Éloge de la lecture la construction de soi .Paris : Belin, 2002. 159 p. ; 22 cm.(Nouveaux mondes). ISBN 2-7011-3242-8 : 14,95 €.