11.04.2009

Le cloître

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Fais un pas d'ombre

transparente

Fais un pas sans images

Descends les marches

et ne fais plus de pas dans le discours de la

lumière.

 

Henri Bauchau, La pierre sans chagrin, Poèmes du Thoronet

23.11.2008

L'anniversaire de la salade

 

"J'aime la cuisine, j'aime la mer, j'aime écrire des lettres et en reçevoir. Et bien que je sois beaucoup plus nostalgique ou affectueuse que d'autres, je vis  seule à Tôkyô. Je suis étourdie, pleurnicheuse, et je m'étonne de tout et de n'importe quoi. Rien à dire de ces vingt-quatre ans. Rien à dire de Tawara Machi. Mais de ce rien à dire du quotidien, je voudrais continuer à créer de la vraie poésie, ne serait-ce même qu'un seul tanka. C'est qu'en d'autres termes, je voudrais continuer à vivre passionnément. Car vivre, c'est chanter la vie. Et chanter la vie, c'est vivre."

C'est ce qu'écrit Machi Tawara en postface de son recueil en 1987, alors qu'il vient d'être publié et rencontre un succès immense. Cette jeune femme s'est lancée dans l'écriture de tanka pendant ses études, après avoir rencontré un professeur, Sasaki Yukitsuna, qui lui a fait découvrir cette forme poétique, la plus ancienne du Japon. Et comme il l'écrit en postface de ce même recueil: " Sans doute cette musique qui lui était propre et qui dormait au fond d'elle-même, grâce à sa rencontre avec le tanka, s'était-elle éveillée, ébranlée, avait-elle commencé à retentir. Elle avait découvert, autrement dit, sa musique intérieure. Et le tankas, chez elle, jaillissaient avec la même violence en somme que celle qu'on peut imaginer durant les premières heures du réveil d'un volcan éteint."

Pour chanter, Machi Tawara chante. Sous une forme poétique extrêmement codifiée, elle parvient à saisir la quintessence du quotidien d'une jeune femme célibataire vivant dans une grande ville. 3à syllabes dans lesquelles son talent enferme des moments de vie dans toute leur force. Les atermoiements amoureux, les courses, les matchs de base-ball, les balades sur les plages. C'est sans doute la nouveauté de son style, soulignée par son professeur comme par les critiques qui a suscité l'admiration. Elle n'hésite en effet pas à mêler langue moderne, anglicisme et forme fixe du poème. Mais son succès populaire s'explique sans aucun doute par le fait qu'elle parvient à toucher au coeur ses lecteurs en quelques mots. Au centre de ses oeuvres, l'amour: les rencontres, le coeur qui bat, l'attente, la sensation intense de vivre que ressent celui qui aime, le sentiment qui prend au ventre lorsqu'on se rend compte que cette rencontre n'aura pas de lendemain, la tristesse de la rupture... Mais aussi le monde autour, les petits bonheurs quotidiens.

Le plus étonnant est que ces tankas en série forment dans leur ensemble des chapitres de sa vie, une histoire que l'on suit page après page avant de revenir encore et encore picorer les tankas que l'on a préféré.

La postface du traducteur, passionnante, apporte un éclairage bienvenue sur la traduction de poèmes et sur l'oeuvre de Machi Tawara.

 

Vous l'aurez compris, c'est une jolie découverte que je conseille à ceux qui aiment la poésie, comme à ceux qui pensent ne pas l'aimer. Une manière de découvrir aussi le Japon contemporain et sa littérature.

 En guise de mise en bouche, trois tankas qui se suivent, au tout début du recueil:

Quatre heures de m'après-midi

Devant le marchand de légume, réflechir

au menu du dîner devient un bonheur

 

Ce crépuscule après notre rencontre

Dans mon coeur toi seul

en es le paysage

 

Samedis où je t'attendais!

Attendre, c'est en dévoratn de tels instants

qu'une femme vit

Les avis d'Antigone, Cathulu.

 

Tawara Machi, L'anniversaire de la salade, Picquier, 2008, 111 p.

05.07.2007

Histoire d'amour

Je te retrouve sur mes sentiers comme au premier jour, tache

rouge d'un manteau sous les frondaisons d'un parc.

Le temps a coulé sous les arbres. J'ai aimé le pays de tes yeux.

Ta main dans la mienne nous avons libéré la peur.

Entre tes seins je regarde le soleil se briser sur un mur blanc au

lit duquel bat une source secrète.

Eblouissante douceur du silence.

Joseph Paul Schneider, Histoire d'amour, Masques du temps, in L'amour et l'amitié en poésie, Folio junior poésie, 2001, 177 p.

22.06.2007

De la douceur dans ce monde de brutes

Moi, je n'aime pas la fête de la musique... Ca ne veut pas dire que je n'aime pas la musique bien au contraire, mais quand un boulet braille du Gilbert Montagné avec des fausses notes, j'ai du mal... Oui, je suis une martyre. Heureusement, René Char était là pour adoucir le drame ! Car oui, je persiste! Mes bonnes dispositions ne faiblissent pas!  Je continue mon exploration du continent poésie!

 

  Attirée par la magnifique édition Gallimard de Lettera Amorosa avec les illustrations de Georges Braque et Jean Arp, je suis partie à la découverte de René Char. C'est un beau cadeau que fait Gallimard à ses lecteurs en offrant deux versions de ce poème dont une sous la forme du manuscrit conservé à la BnF.

C'est beaucoup d'émotion de découvrir ce texte, la première version en fait, de la main même de l'auteur, avec les ratures et les corrections.  Et c'est beau, c'est vraiment beau cette poésie qui ressemble à de la prose accompagnée d'oeuvres graphique qui sont de véritables petites merveilles. C'est suffisamment clair pour que la compréhension en soit aisée, tout en maintenant le mystère et en donnant l'envie d'analyser de plus près ces vers et leur signification.

René Char raconte dans cette oeuvre un amour fou, son début, la souffrance qui en naît et le drame de la séparation. Il parle de l'amour, de sa nature, de la femme et de la féminité, de la nature. Il montre comment lié par cet amour, il reste malgré tout libre, plus libre que lorsqu'il ou que s'il n'aimait pas.

 

Je suis encore toute ébouristiflée par ce gentleman rugbyman poète!

"Ce fut, monde béni, tel mois d'Eros altéré, qu'elle illumina le bâti de mon être, la conque de son ventre, je les mêlai à jamais. Et ce fut à telle seconde de mon appréhension qu'elle changea le sentier flou et aberrant de mon destin en un chemin de parélie pour la félicité furtive de la terre des amants."

 

René Char, Lettera Amorosa: suivi de Guirlande terrestre, Poésie/Gallimard, 2007, 70 p.

13.06.2007

Cahiers de verdure

Et bien il semblerait que je sois en passe de guérir d'une de mes maladies: l'incapacité chronique de lire de la poésie. Comment définir cela... Une résistance à toute épreuve aux vers... Des crises de fou rire à la lecture de Lamartine... Des éruptions de boutons avec Hugo... C'était sans aucun doute que je n'étais pas encore tombée sur un poète capable de me toucher. Ceci dit, la guérison se faisait sentir. Mon cas n'était pas désespéré!

C'est pour cela que j'ai été touchée et fascinée par Philippe Jaccottet. Cahiers de verdure, suivi de Après beaucoup d'années est un recueil de poèmes et de courts textes qui parlent de la nature, de la montagne, et de l'amour de Jaccottet pour ces lieux. Il dit, avec des mots très simples et très beaux le soleil qui se couche, les arbres et les fruits, les combes et les torrents. Et c'est fou, on sent, on entend, et on revit des soirs d'été que l'on a vécu.

Une magnifique découverte.

"Comme quand traine un peu de brume sur une source qui a pris la couleur des plantes qui l'abritent, un trouble embué. Le voile qui amortit et qui aiguise la violence montée des profondeurs.

Des êtres jamais vus, comme assis sous des nuages dont le bord serait argenté par la lune.

Avant que tu ne passes une bonne fois au nombre des fantômes, écris qu'il n'y a pas de plus haut ciel que cette source couleur d'herbe."

Philippe Jaccottet, Cahiers de verdure, suivi de Après beaucoup d'années, Poésie/Gallimard, 2003, 197 p.

28.04.2007

Loup y es-tu?

Au hasard de mes balades en librairie, j'ai mis la main sur un de ces pratiques petits Folio à deux euros. Le bonheur à trimballer dans un sac. Non pas que j'ai quoi que ce soit contre les pavés, mais mon épaule gauche a menacé de faire grève. Dont acte! Et puis cela m'a permis de découvrir ce recueil de courtes nouvelles d'un auteur aujourd'hui quasi oublié, s'il faut en croire la préface.

 

Le moins qu'on puisse dire c'est que Renée Vivien est un personnage intéressant: cette anglaise installée à Paris appartient au Paris cosmopolite de la Belle Epoque. Son surnom de Sapho 1900 est suffisament explicite sur son choix de vie. Anorexie, alcool et drogue, homosexualité affirmée, font de sa vie un scandale permanent pour son époque. Un site lui est consacré dont je donne le lien pour ceux qui voudraient en savoir plus: http://www.reneevivien.com/vie.html. On y trouve en plus son oeuvre poétique complète (là, je trépigne).

La dame à la louve, recueil dantant de 1904 semble être caractéristique du regard qu'elle porte sur les relations amoureuses, le relations homme/femme, et surtout la gent masculine. Son regard est extrément acide. Au point que j'en suis restée les yeux ronds! Un exemple? J'ai l'amour de la netteté et de la fraîcheur, continua-t-elle en un rire léger. Or, la vulgarité de l'homme m'éloigne ainsi qu'un relent d'ail, et leur malpropreté me rebute à l'égal des bouffées d'égoûts. L'homme, insista-t-elle, n'est véritablement chez lui que dans une maison de tolérance. Car il retrouve en elle sa rapacité, son inintelligence sentimentale, sa cruauté stupide." Le tout dans les premières pages de la première nouvelle. Toutes mettent d'ailleurs en scène des femmes fortes, pures, délicates et loyales face à des hommes dont les principales caractéristiques sont la stupidité, la faiblesse et un désir de possession qui cause le malheur. Pour autant, son regard sur le sexe féminin est loin d'être naïf. Aucune de ses héroïnes n'est innocente. Chacune des nouvelles est cruelle, fantstique, fourmille de références religieuses, littéraires, historiques. Martine Reid qui a établit cette édition les qualifie de "fin de siècle". On peut difficilement dire mieux!

En tout cas si toutes ne m'ont pas plu à égalité, ce fut une découverte agréable et parfois enthousiasmante. Pour la modique somme de deux euro, il serait idiot de bouder son plaisir! 

 

Renée Vivien, La Dame à la louve, Folio, coll. Femmes de lettres, 2007, 141 p.